à imposer de telles contraintes dans la mesure de ce qui est proportionné à l’objectif poursuivi ; lorsque l’employeur n’y est pas lui-même contraint par des règles d’hygiène et de sécurité qui s’imposent à lui. A côté de la proportionnalité, l’employeur est soumis à une autre limite, au potentiel explosif dans une acception large : l’interdiction des discriminations à raison de l’apparence physique. Au nom de cette prohibition, point d’interdiction faite au serveur d’un restaurant gastronomique de porter des boucles d’oreilles.
Entre la consécration jurisprudentielle d’une nouvelle ‘liberté’ et pointillisme ! On hésite à la lecture de l’arrêt de la chambre sociale en date du 11 janvier 2012 (pourvoi n° 10-28.213) ; arrêt qui plus est promis aux honneurs du bulletin.
Chaque salarié a droit, y compris dans le cadre de la relation de travail, au respect de ses libertés. Exemple bien connu : le respect de la vie privée en matière de correspondances électroniques.
On distingue ainsi les libertés fondamentales, parfois dites absolues en ce qu’elles n’admettent pas de restriction, et les libertés dites ‘accessoires’, lesquelles peuvent recevoir des restrictions proportionnées aux nécessités de l’intérêt de l’entreprise.
Libre choix vestimentaire : liberté relative
Il en est ainsi de la liberté de se vêtir selon son choix. Des restrictions sont admises.
Qui ne connaît pas les chaussures de sécurité ? Le bonnet en cuisine ? Qui ne se souvient pas du Docteur ROSS en grande tenue paré pour une intervention chirurgicale ?
L’hygiène et la sécurité sont évidemment des motifs justifiant que l’employeur impose des contraintes vestimentaires à un salarié« justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché ». La décence (oui, oui… point de chemisier transparent sur seins nus : Soc. 22 juillet 1986, pourvoi n° 82-43.824) et les exigences propres à la clientèle (point de survêtement pour accueillir la clientèle d’une agence immobilière : Soc. 6 novembre 2001, pourvoi n° 99-43.988) le sont également.
La liberté du salarié de se vêtir selon son choix est ainsi une liberté, mais non une liberté fondamentale (Soc. 28 mai 2003, pourvoi n° 02-40.273). Comme telle, elle admet des restrictions qui peuvent être édictées par l’employeur au regard de l’intérêt de l’entreprise et pour autant que ces restrictions sont proportionnées au but poursuivi par l’employeur.
Oui, mais voilà !
Il faut également compter avec la prohibition des discriminations, notamment en raison du sexe de la personne et en raison de son ‘apparence physique’ (article L 1132-1 du code du travail) ; sexe et apparence physique étant en cause dans l’arrêt du 11 janvier 2012.
Une liberté renforcée par la lutte contre des discriminations aux contours incertains
En l’espèce, un salarié homme, embauché depuis près de 5 ans dans un restaurant gastronomique, avait refusé d’ôter ses boucles d’oreilles pendant le service. Un mois et demi après avoir arboré ses boucles, il avait été licencié au motif que son « statut au service de la clientèle ne permettait pas [à l’employeur] de tolérer le port boucles d’oreilles sur l’homme qu’[il est] ».
Et le salarié de revendiquer une discrimination à raison de son sexe et de son apparence physique.
A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de Cassation se prononce sur la discrimination à raison de l’apparence physique d’un salarié ; critère de discrimination au potentiel explosif.
Les auteurs distinguent deux conceptions de l’apparence physique :
1. Une conception stricte : l’apparence qui est la simple constatation des caractéristiques physiques du salarié, caractéristiques sur lesquelles il n’a aucune prise (taille, couleur des cheveux, pour ne pas évoquer la couleur de peau qui serait par ailleurs couverte par la prohibition des discriminations à raison des origines, de l’appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race) ;
2. Une conception large : d’une manière générale, l’aspect extérieur de la personne, qu’il résulte, ou non, du choix du salarié. A l’évidence le port de boucles d’oreilles, d’un piercing visible, relève de cette conception large.
Lorsque l’hygiène et la sécurité sont les motifs de la contrainte vestimentaire imposée par l’employeur, l’apparence physique ne semble pas pouvoir être invoquée pour contrer ces contraintes : la cause de la contrainte semble suffisamment objective, détachée de considérations en relation avec l’apparence physique.
L’appréciation devient évidemment plus problématique dès lors que les moteurs de la contrainte sont la décence et le ‘standing’ à présenter face à la clientèle. Au-delà des situations extrêmes, le subjectif est grand, les jugements diverses, la sécurité juridique absente.
Cette insécurité est d’autant plus présente en l’état que la solution dégagée par la Cour de Cassation est incertaine. En effet, la Haute Juridiction se réfère, comme à un ensemble, à « l’apparence physique rapportée au sexe » du salarié.
Dès lors :
- Doit-on estimer que l’apparence physique n’est protégée qu’en tant qu’elle est couplée à une discrimination en raison du sexe ?
- Doit-on estimer, et l’article L 1132-1 qui vise distinctement l’apparence physique militerait en ce sens, que toute discrimination en raison de l’apparence physique, selon une conception large, serait prohibée ?
Dans la première hypothèse (pointillisme), l’erreur de l’employeur aurait consisté à se référer à la qualité d’homme du salarié. On aurait pu envisager, mais on n’y croit guère, que le licenciement aurait été justifié, n’aurait pas été constitutif d’une discrimination, si l’employeur s’était contenté de mentionner le standing de la clientèle, s’opposant, de son point de vue, aux ‘excentricités’.
Cela susciterait alors, pour justifier que l’article L 1132-1 du code du travail se réfère à l’apparence physique, une sous-distinction :
- Lorsqu’il est question de la seule apparence physique, une conception stricte serait retenue ;
- Lorsqu’il est question de l’apparence physique, couplée à un autre critère de discrimination, en l’espèce le sexe, une conception large serait retenue.
Dans la seconde hypothèse, aucune initiative ne saurait être prise par l’employeur, à l’égard de quiconque, à raison d’un piercing apparent par exemple. Encore une fois, l’article L 1132-1, isolant l’apparence physique, devrait militer pour cette dernière solution. Il reste qu’il est douteux que la Cour de Cassation est entendu remettre en cause, par incidence, les solutions dégagées au fil des arrêts sur les contraintes vestimentaires imposées aux salariés.
On reste dans l’attente du prochain épisode et, jusque-là, la plus grande prudence s’impose :
- Les contraintes vestimentaires résultant des règles d’hygiène et de sécurité ne semblent pas remises en cause car n’étant pas fondée sur l’apparence physique du salarié ;
- Les contraintes vestimentaires résultant de la décence ou des exigences de la relation à la clientèle sont dans l’expectative. L’employeur, qui souhaite maintenir des contraintes vestimentaires et, le cas échéant, les sanctionner devra prendre un soin extrême à édicter clairement des règles à destination des hommes et des femmes, sans distinction à raison du sexe, à les sanctionner sans référence aucune au genre de son salarié et à motiver cette sanction sans en rester strictement au refus des contraintes vestimentaires en se référant, en particulier et si tel peut être le cas, aux perturbations provoquées au sein de l’entreprise (manquement aux règles de décence) ou auprès de la clientèle.
Et n’avoir d’autre choix que d’attendre les prochains développements !
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